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Bangladesh
Le Bangladesh, sous le soleil émancipateur
Le Bangladesh est l’un des pays les plus touchés par le changement climatique et aussi l’un des plus pauvres au monde. Pour fournir, enfin, un accès à l’électricité aux millions de bangladais vivant en zone rurale, la Banque mondiale et l’État ont mis en place, en 2003, un programme d’électrification rurale par l’énergie solaire au succès fulgurant. 3,7 millions de systèmes photovoltaïques individuels ont déjà été installés, et 6 millions sont prévus en 2018.
À elle seule, l’apparition de la lumière électrique a transformé la vie des familles. Les femmes cuisinent le soir et dégagent du temps en journée pour travailler et gagner un peu d’argent. Les enfants, eux, peuvent faire leurs devoirs. Ce qui signifie, pour les petites filles, pouvoir poursuivre l’école et repousser l’âge du mariage.
C’est le programme d’électrification le plus important au monde. Il y a des essais en Afrique et en Amérique du Sud mais sans l’ampleur observée ici. »
Zubair Sadeque, expert énergie de la Banque mondiale au BangladeshSystèmes D pour toucher les 70 % de la population bangladaise vivant en milieu rural
Très actif dans la recherche sur le changement climatique
Situé sur le plus grand delta du monde, dans les bras du Gange et du Brahmapoutre, le Bangladesh subit de plein fouet les conséquences du changement climatique. Montée du niveau des océans et des fleuves, cyclones toujours plus nombreux et plus dévastateurs… Le changement climatique est devenu une donnée incontournable dans la recherche pour le développement. Au début des années 2000, le Dr Atiq Rahman, co-récipiendaire du prix Nobel de la paix avec le Giec (Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU), a ainsi lancé une longue expérimentation pour apporter l’électricité à toute une île, grâce à des capteurs photovoltaïques. Le prélude au programme de panneaux solaires individuels. « Nous n’aurions jamais cru qu’il aurait tant de succès !» avoue Atiq Rahman.
C’est très difficile d’étudier sans électricité. Avec la lampe à kérosène, je m’endormais tout le temps ! Ça n’éclaire pas assez. Aujourd’hui, je peux travailler plus longtemps : 4, 5 ou 6 heures. »
Shathi, 14 ans, élève de l’école Kamarjani, à Korai Bari.Rajia Sultana étudie pour repousser le mariage
Mosammat Rajia Sultana est née il y a quatorze ans sur les rives du Brahmapoutre, dans l’un des quartiers champignons d’une petite ville portuaire, Korai Bari. Son père ayant perdu la raison, sa mère doit jongler avec le maigre loyer que lui rapporte le champ familial et l’aide de la famille pour subvenir aux besoins des siens. Impossible de s’offrir un panneau solaire, même tout petit. Mais grâce à ses bons résultats scolaires, Rajia Sultana en a gagné un, de 20 watts, offert par les autorités régionales. La jeune fille, les yeux noirs et le regard déterminé, les cheveux longs soigneusement noués sous son long foulard, a profité de la lumière électrique pour allonger le temps alloué à ses devoirs : entre quatre et cinq heures chaque soir pour pouvoir entrer à l’université. Son rêve : devenir professeur. Son oncle, faisant office de chef de famille, lui a promis qu’elle ne se marierait pas tant qu’elle continuerait ses études. Sa mère, elle, s’est mariée à douze ans.
Émancipation des femmes
Dans un pays encore très traditionnaliste, où les femmes en zone rurale n’ont pas d’autres horizons que leur foyer, l’arrivée massive des panneaux solaires a permis aux ONG de développer l’emploi féminin, au moins quelques heures par jour. Assembler ou réparer des pièces, ou encore vendre des panneaux solaires, permet à des dizaines de milliers de femmes de gagner un peu d’indépendance tout en assurant leur rôle de mère au foyer. La lumière produite par l’électricité offre en outre de meilleures conditions aux enfants pour faire leurs devoirs. Et pour les petites filles, ça change tout : de plus en plus de familles acceptent d’attendre qu’elles aient fini leurs études avant de les marier.
De grands réseaux
dans tout le paysLa réussite du programme repose en grande partie sur la microfinance. C’est au Bangladesh qu’un autre prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus, a créé la Grameen Bank, première institution à généraliser le microcrédit, ces prêts d’un faible montant accordés à des personnes exclues du système bancaire. Le Bangladesh est devenu le berceau d’une multitude d’institutions de microfinance bien implantées dans tout le pays. Or le programme de panneaux solaires individuels, dans lequel 600 millions de dollars ont été investis depuis 2003, s’est largement appuyé sur ces institutions. Quarante-six associations partenaires vendent, installent les panneaux et encaissent chaque mois, pendant deux ou trois ans, les remboursements des familles. Les réseaux préexistants, et la légitimité dont bénéficient les organismes de microfinance auprès des populations rurales ont permis un ancrage immédiat du programme.
Aujourd’hui, 65 % de la population a accès à l’électricité dont 10 % grâce au photovoltaïque.
Il y a sept ans, un tiers des élèves quittaient notre école avant le grade 10 (l’équivalent de la seconde) témoigne-t-il. Aujourd’hui, nous n’avons plus aucun abandon. »
Islam Farukul, directeur de l’école Kamarjani, à Korai Bari.