• Bhoutan

  • Les sillons du bonheur


    puce-bhoutanLe royaume du Bhoutan a annoncé, en 2012, son souhait de vivre d’une agriculture 100 % biologique. Alors ministre de l’agriculture, Pema Gyamtsho avait déclaré : « L’agriculture intensive, parce qu’elle implique l’utilisation de nombreuses substances chimiques, ne correspond pas à notre croyance bouddhiste qui nous demande de vivre en harmonie avec la nature. Nous aimons que les insectes et les plantes soient heureux ». Après avoir tracé des sillons d’ombre, à force d’utiliser des engrais, des désherbants et des pesticides issus de la pétrochimie, les paysans s’engagent ainsi progressivement dans la transition agricole pour une alimentation durable. Enclavé entre deux géants, la Chine et l’Inde, ce pays de 700 000 habitants s’était déjà distingué en choisissant un modèle de développement basé, non pas sur la mesure du produit national brut (PBN), mais sur celle du bonheur national brut (BNB).

     

    Texte : Aude Raux | Photographies : Éléonore Henry de Frahan
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  • La méditation est ma seule médecine. Si chacun s’occupait de sa « vie intérieure », le climat ne serait pas déréglé. On se reconnecterait à la nature. Heureusement, nos dirigeants sont conscients qu’il faut préserver notre écosystème »

    Jigme Tshering, paysan

    Des formations aux techniques de l’agriculture biologique

    Yuden et Sangay Dorji cultivent leur jardin potager aménagé en terrasses sur les contreforts de l’Himalaya. Au loin, les nuages enveloppent les cimes des arbres denses, que le vent fait bruisser, donnant voix aux esprits, gardiens de la forêt. Les souvenirs de ce couple de paysans sont durs comme la pierre : « à cause des produits chimiques, le sol est devenu dur et compact, pour finir comme les cailloux ». Lors d’une formation, dispensée gratuitement en 2012 par le ministère de l’Agriculture et des Forêts, Yuden et Sangay Dorji ont été sensibilisés aux techniques de l’agriculture biologique. « On nous a conseillé d’utiliser du fumier comme fertilisant naturel pour nourrir le sol, alors on met de la fougère dans l’abri de notre vache. Pour faire un insecticide biologique, on mélange de l’urine et du lait de vache qu’on dilue avec de l’eau. Enfin le désherbage, on le fait à la main. Depuis que l’on applique ces méthodes, le sol est tendre, facile à labourer ».

  • Des défis à relever

    Selon Sonam Tashi, maître de conférence au College of Natural Resources, « le Bhoutan pourrait parvenir au tout bio d’ici à 2025 ». Parmi les défis à relever, l’accès à l’eau : riche en rivières, le pays produit de l’énergie hydraulique, mais faute de moyens financiers, il ne peut investir suffisamment en réservoirs, pompes ou tuyaux afin d’irriguer ses terres agricoles. Autres challenges, le mauvais état des routes et les animaux sauvages (éléphants, sangliers ou cerfs) qui font des ravages dans les champs. Sonam Tashi évoque également l’exode rural. L’agriculture emploie 60 % de la population active, mais les jeunes, de plus en plus nombreux à être scolarisés – gratuitement – ne veulent pas retourner à la dure vie des champs après leurs études. Or, cultiver en bio exige de la main-d’œuvre. Le marketing est une autre source de préoccupation. Pour l’instant, seule la citronnelle bénéficie d’un label, « Bio Bhoutan ». Une fois le pari de la certification relevé, le royaume pourrait développer ce marché de niche, rapportant des devises à l’État qui en manque.

  • Optimiser la façon de cultiver naturellement la terre

    Grâce à sa géographie, qui varie entre les plaines subtropicales au sud, situées à 200 mètres d’altitude, et les montagnes subalpines au nord, où les sommets culminent à 7 570 mètres, le Bhoutan peut tout produire. Par ailleurs, les surfaces agricoles, petites (un hectare en moyenne) et morcelées ne se prêtent pas à l’agriculture intensive. Une majorité de paysans, environ 60 %, n’utilisent, d’ores et déjà, ni engrais et désherbants chimiques, ni pesticides. Et pour les autres, ils ne le font qu’en petites quantités. « Nous partons ainsi d’un seuil élevé, explique, confiante, Kesang Tshomo, coordinatrice du National Organic Program. Beaucoup de paysans savent en effet que ces substances sont nocives. Autres raisons : ceux qui vivent dans des zones éloignées des routes, n’ont pas facilement accès à ces produits importés d’Inde par le gouvernement qui en contrôle la vente. Et puis, les intrants coûtent chers. Finalement, notre rôle consiste surtout à aider les paysans à optimiser leur façon de cultiver naturellement la terre ».

    Voir une graine germer, se transformer en légume, puis vendre des produits respectueux de l’environnement et bons pour la santé des paysans et des consommateurs, ça me rend heureuse »

    Danka Dorji, paysanne
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